Sur les propos de Serge Klarsfeld
Klarsfeld, « grande conscience » en perdition
Le 15 juin, interrogé sur LCI, Serge Klarsfeld a déclaré qu’en cas de second tour entre un candidat
RN et un adversaire LFI, il voterait pour le premier « sans hésitation » (!), au prétexte que le RN est
un parti qui a effectué sa « mue » et soutient les juifs, alors que les insoumis sont « antijuifs »,
extrapolant des déclarations de certains d’entre eux contre Israël. En son nom, son fils Arno,
avocat et conseiller d’État, porte ce message dans les médias, à satiété.
Avant de déplorer cette prise de position, rappelons combien toutes les personnes éprises de
justice et abhorrant le racisme sont redevables du travail considérable de Serge et de Beate
Klarsfeld, à la tête de l’association des Fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF), de leur
traque inlassable des criminels nazis, de leur collecte des informations sur la Shoah, afin
qu’aucune victime ne soit oubliée, de leur soutien aux survivants et descendants de victimes du
génocide. Hommage doit être rendu à leur ténacité et à l’ampleur de leur œuvre de mémoire.
L’option politique de Klarsfeld est donc aujourd’hui pour le moins inconséquente et pose une
série de questions. Relève-t-elle d’une soudaine amnésie ? A-t-il oublié-il la tribune qu’il a signée
dans Libération le 16 avril 2022, pour appeler, lors de l’élection présidentielle, à voter
contre Marine Le Pen, « fille du racisme et de l’antisémitisme » ? En ce mois de juin, Marine Le Pen
s’esbaudit de la quasi-bénédiction de Serge Klarsfeld, le qualifiant de « grande conscience ». Au
contraire, Laurent Joly, historien spécialiste de la Shoah et de l'antisémitisme du régime de Vichy,
trouve les propos de Serge Klarsfeld "terriblement tristes", y relève une "lourde erreur" : "Croire
que l'extrême droite protège les Juifs est une illusion, ajoutant qu’elle « s'est toujours opposée de
toutes ses forces aux lois antiracistes". Lois que le RN est déterminé à abroger s’il parvient au
pouvoir. Comment un chercheur aussi pénétrant et sourcilleux que Klarsfeld peut-il ne pas avoir
repéré dans l’entourage actuel et les alliés européens de Marine Le Pen des diffuseurs du
négationnisme, sans remonter aux co-fondateurs Waffen-SS et miliciens du ci-devant FN ? Est-il
lucide sur la proximité du RN avec ses homologues suprémacistes en Israël-Palestine ? S’est-il
ému de la « maladresse » de Bardella : c’est ainsi que ce dernier s’excuse, sans convaincre, du
déni proféré sur BFM-TV le 5 novembre dernier : « Je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était
antisémite » ? En juillet 2020, Klarsfeld a absous Marine Le Pen de la faute commise trois ans plus
tôt en considérant que « la France n’est pas responsable du Vel d’Hiv » (Grand Jury RTL-LCI-Le
Figaro, 9 avril 2017). Il a concédé « un pas en avant », lorsque la présidente du RN a admis que
« la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv nous rappelle au devoir de mémoire face à
l’expression la plus abjecte et abominable de l’antisémitisme. » Comme elle, il désigne « le danger,
c’est à la fois la partie de la population musulmane qui se considère liée à l’islamisme
fondamentaliste et l’extrême gauche qui (…) a toujours eu des préjugés antisémites et des raisons
électoralistes de soutenir les ennemis d’Israël » (Le Télégramme, 27 mai 2024). Un parti pris, voire
une fixation (oser dire « toujours ») qui valide délibérément le calcul politicien de Le Pen. Est
cependant compréhensible le choc du progrom du 7 octobre en Israël qui a pu raviver le
traumatisme d’un enfant juif de 8 ans à Nice, en 1943, sauvé d’une rafle par le subterfuge et le
sacrifice de son père.
Quoiqu’il en soit, le discernement de Serge Klarsfeld semble affecté d’une forme d’hémiplégie.
La « mue » de RN a-t-elle débarrassé ce parti de tout racisme ? ou Klarsfeld considère-t-il, par un
biais communautariste, qu’il n’y a de victimes du racisme que les juifs ? Notre mouvement depuis
l’origine a constamment combattu l’antisémitisme, qui n’est pas résiduel, hélas, mais aussi tous
les racismes, toutes les formes que prennent la haine de l’autre, la stigmatisation de la différence.
À ce propos, souvenons-nous d’un détail qui n’en est pas un. En 2012, Serge Klarsfeld s’est
empressé de prendre la défense de Christian Vanneste, député du Nord, que l’UMP a exclu pour
avoir dénoncé « la légende de la déportation des homosexuels ». Un obscur député avait alors
réclamé cette exclusion : Eric Ciotti... Klarsfeld avait argué de n’avoir pas connaissance d’ « un
document faisant état de la déportation d'homosexuels en France ». En effet, l’occupant et Vichy
n’ont pas co-organisé formellement une déportation massive des homosexuels français. Mais un
ouvrage collectif, La Déportation pour motif d'homosexualité en France (éditions Mémoire active)
estime à 62 en France le nombre de « déportés qui ont été envoyés dans des prisons et des camps
allemands en raison de leur homosexualité ». L’historien Mickaël Bertrand ajoute : « Cela ne
signifie pas pour autant que des centaines d'homosexuels français n'ont pas été déportés en tant
que juifs, communistes et/ou résistants". De plus une trentaine (STO et prisonniers de guerre) ont
été arrêtés en Allemagne, sous le coup du code pénal allemand (le trop fameux § 175 de 1871,
frappant les « actes contre nature »). Si limitée en nombre soit-elle, la déportation des
homosexuels n’est pas une légende. Serge Klarsfeld aurait dû éviter d’être péremptoire.
Que ce gardien éminent de la mémoire de la Shoah reprenne conscience et ne persiste pas à
exonérer un parti opposé frontalement à sa cause (qui est aussi la nôtre), à cautionner ce parti
dangereux pour nos valeurs républicaines et universelles, pour l’État de droit (l’avocat Klarsfeld
ne saurait l’ignorer), pour le droit du sol (sa suppression annoncée ne rappelle-t-elle rien à un
couple de naturalisés ?), pour nos principes de laïcité et de solidarité.
Limoges le 18/06/2024
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